« Prisonnière du ciel et du temps »

Je n’aurais jamais cru vivre une journée aussi stressante et éprouvante émotionnellement. Les journées de retour en avion ont toujours une saveur particulière : l’excitation de rentrer chez soi se mêle à une pointe de nostalgie de quitter le pays visité. On est épuisé par une semaine d’exploration, à vouloir tout voir en un temps limité.

Mais c’est au moment de prendre l’avion que mon anxiété atteint son paroxysme. Non pas que j’aie peur de voler, mais toute la logistique du voyage me submerge : l’heure du départ, le check-out de l’hôtel, le transport vers l’aéroport, les contrôles de sécurité, l’attente à la porte d’embarquement… J’ai toujours vu ces journées comme des défis personnels, une manière de prouver à mon anxiété que je peux la surmonter. Voyager seule est déjà un challenge, mais affronter un aéroport l’est encore plus. Il y a toujours cette peur d’être en retard, de se tromper de porte ou de terminal, de manquer son vol.

Mais ce retour-là… Celui du Portugal… Il a repoussé toutes mes limites.

Quand j’ai appris qu’une tempête de neige historique avait frappé le Québec en mon absence, j’ai su que cette journée ne serait pas de tout repos. Mais jamais je n’aurais imaginé à quel point.

Tout avait pourtant commencé normalement : réveil matinal, trajet en autobus jusqu’à l’aéroport, passage de la sécurité, attente à la porte d’embarquement. Rien d’inhabituel. Jusqu’à ce que je reçoive une alerte : mon vol est retardé de 2h50 en raison des conditions météorologiques extrêmes. Et c’est là que tout a basculé.

Après des heures d’attente, je monte enfin dans l’avion, direction mon escale à Toronto. Mais avec ce retard, ma correspondance de trois heures se transforme en une course contre la montre de dix minutes. Dix minutes impossibles à tenir. Je sais déjà que je vais manquer mon vol pour rentrer chez moi.

Et puis, coup de théâtre : une heure avant l’atterrissage, le pilote nous annonce un incident grave sur la piste de Toronto. Un avion s’est renversé en atterrissant. Résultat ? Nous sommes déroutés vers Montréal. Contre toute attente, je ressens un soulagement. Montréal est ma destination finale, après tout. Peut-être vais-je échapper à ce cauchemar logistique…

Mais non. Une fois sur place, on nous annonce qu’on doit finalement repartir pour Toronto. Mon moral s’effondre. Déjà six heures de retard sur l’itinéraire initial, et l’idée d’un retour chez moi s’éloigne encore. Fatiguée, impuissante face à cette situation hors de mon contrôle, j’essaie de me convaincre que paniquer ne changera rien. Que je suis juste un passager parmi tant d’autres, coincé dans cet immense monstre d’acier suspendu dans le ciel.

Nous atterrissons enfin à Toronto. Je cours, je cherche ma porte d’embarquement, mais je sais que c’est inutile. Mon vol est déjà parti.

Épuisée, à bout de nerfs, je cède. Je me cache dans un coin et laisse l’angoisse m’envahir. Les larmes coulent sans que je puisse les retenir. Il n’y a rien à faire, sinon attendre et tenter de contacter la compagnie aérienne. Mais je ne suis pas la seule : des centaines de passagers sont dans la même situation. Les files d’attente au comptoir s’étirent à perte de vue, les lignes téléphoniques sont saturées.

Je finis par abandonner l’idée d’un vol de remplacement via la compagnie et réserve un nouveau billet à mes frais. Peu importe le budget, je dois rentrer chez moi. Cela fait plus de 30 heures que je n’ai pas dormi, que je me nourris uniquement de repas d’avion insipides. Mon corps me supplie d’arrêter, de dormir, de manger.

Je m’allonge sur le sol froid de l’aéroport, recroquevillée dans un coin, cherchant un semblant de repos. Mais le sommeil me fuit. Juste au moment où je commence à sombrer dans une torpeur bienfaisante, une nouvelle alerte brise l’illusion du répit : mon vol vient d’être annulé.

C’est la goutte d’eau. Mon corps et mon esprit lâchent prise. L’épuisement, l’angoisse, la frustration… tout m’écrase. Je n’ai plus d’énergie pour penser, pour réagir.

Je me surprends à me dire que je ne voyagerai plus jamais. Que cette journée gâche à elle seule le souvenir de mon voyage. Mais au fond, je sais que ce sont la fatigue et l’anxiété qui parlent. Je sais que cette situation est exceptionnelle, que ce n’est qu’un malheureux enchaînement de circonstances.

Dans un dernier élan de survie, je décide de prendre une chambre d’hôtel, malgré le prix exorbitant. Peu importe. J’ai besoin de dormir, de retrouver mes esprits. Mais la crise de panique ne me laisse pas de répit. Mon corps tremble, mon cœur s’emballe. Je sais que tout est dans ma tête, mais je n’ai plus le contrôle. Finalement, l’épuisement l’emporte. Je sombre.

Quand je me réveille quelques heures plus tard, tout est différent. Mon esprit est plus clair, rationnel. J’analyse mes options. J’opte pour le train : huit heures de trajet, mais au moins, la certitude d’arriver chez moi.

Je me rendors. Cette fois, le sommeil est plus profond, réparateur.

Puis, à mon réveil, une notification inattendue : la compagnie aérienne m’a trouvé un vol pour le lendemain matin. Je n’ose plus espérer, mais je tente ma chance une dernière fois…

Et voilà que l’inattendu se produit enfin. Après une journée d’angoisse, de peur, de frustration et d’épuisement, je suis enfin en route vers chez moi. Un mélange de soulagement et d’épuisement m’envahit. Une nouvelle journée commence, porteuse de bonheur et de répit, avec la certitude que bientôt, je retrouverai ma forteresse de calme : ma maison.

Là, entourée de mes repères, je pourrai enfin laisser cette épreuve derrière moi. Regarder mes photos de voyage, me rappeler les moments magiques et sourire en repensant à cette folle aventure qui, avec le recul, semblera presque absurde, une anecdote à raconter.

Et comme toujours, l’envie d’explorer reprendra le dessus. Parce qu’au fond, rien ne pourra m’empêcher de voyager. Pas même une journée comme celle-ci.

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